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qui ajouta à ses réflexions. Alors commença réellement entre eux, une méfiance réciproque. Christophe l’avait provoquée en Pétion, par ses paroles à Bonnet, par sa lettre à Yayou. À son tour, il en conçut contre Pétion, parce qu’après sa circulaire, ayant envoyé un officier auprès de lui pour lui dire d’user de son influence sur l’assemblée, relativement à son autorité, cet officier lui rapporta une réponse de Pétion qui dut lui déplaire extrêmement. Lisons ce qu’en dit ce dernier lui-même dans l’écrit justificatif de sa conduite, en date du 17 janvier 1807 :

« Mais il était bien éloigné de ces sentimens (pour avoir une constitution qui rendrait le peuple aussi libre que possible), puisqu’il envoya auprès de moi un officier de confiance pour me faire part de l’autorité qu’il voudrait s’attribuer par la constitution, laquelle ne nous aurait laissé que le choix de changer de fers ; car elle eût été égale à celle de Dessalines. Ma réponse positive ne dut pas le satisfaire ; car je déclarai à son envoyé, — que s’il se présentait un homme assez audacieux pour aborder une pareille question, je monterais à la tribune pour le combattre ; que le peuple voulait la liberté, et que je le seconderais de tous mes efforts.[1] »

C’était une bombe que le célèbre artilleur jetait ainsi dans la redoutable citadelle Henry, nous en convenons ; mais lorsqu’on en lance de semblables au nom du peuple souverain, on est justifié aux yeux de la postérité ; car on n’avait pas abattu un tyran pour reconstituer la tyrannie.

Cependant, Christophe dissimula en ce moment : il

  1. Ce n’est pas Dartiguenave, comme le dit M. Madiou, mais un autre officier qui fut spécialement chargé de communiquer ces vues à Pétion. Voyez l’écrit justificatif de Pétion, publié le 17 janvier 1807.