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vers l’habitation Lanzac. Il est difficile de penser que ce ne fut pas par les ordres de Dessalines[1]. Ainsi il récompensait la fidélité à son autorité, le dévouement à sa personne. En ce moment, Lamarre, sur qui il comptait, n’avait-il pas raison de s’être joint aux troupes du Sud ?

Arrivé à l’Arcahaie, l’empereur fit partir immédiatement, le 16 octobre dans l’après-midi, le colonel Thomas Jean et le chef de bataillon Gédéon, avec les 3 compagnies de grenadiers et les 3 de chasseurs de la 3e demi-brigade, pour se rendre au Port-au-Prince ; mais avec ordre de l’attendre au Pont-Rouge. Il voulait entrer en cette ville, précédé immédiatement de cette troupe d’élite ; et cette disposition a été cause d’une pleine sécurité de sa part, qui le fit tomber dans le piège qu’on tendait en même temps au Pont-Rouge contre lui[2].

À l’Arcahaie encore, Dessalines reproduisit l’idée sanguinaire qui l’agitait. Il demanda à Thomas Jean, à Gédéon, au capitaine de grenadiers Nazère, l’un des vaillans officiers de la 3e « s’ils se sentaient le cœur de marcher dans le sang jusqu’aux Cayes[3]. » Il avait prononcé lui-même son arrêt de mort, en tenant un tel langage à des hommes sur lesquels Pétion exerçait une si grande influence, en heurtant dans leurs cœurs tous les sentimens humains qui les distinguaient. Dessalines oubliait

  1. Quel motif J.-L. Longueval, tout scélérat qu’il fût, pouvait-il avoir pour faire tuer cet aide de camp de l’empereur, s’il n’en avait pas reçu l’ordre ?
  2. Ce pont fut construit en 1786, sur la ravine de l’habitation Saint-Martin, tout près du Port-au-Prince : on le nommait alors le pont Larnage ; mais ses garde-fous en bois ayant été peints en rouge, on le nomma vulgairement Pont-Rouge.
  3. Hist. d Haïti, t. 3, p. 323. « Il ajouta que bientôt le département du Sud serait en une telle solitude, qu’on n’y entendrait même plus le chant du Coq. » Excepté, sans doute, le chant du Coq impérial. Il avait un Coq dans ses armoiries, comme emblème de la vigilance et de l’activité.