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« Mentor, qui avait fini par éprouver ce qu’il y avait de chimérique dans ses projets ambitieux (pour occuper une haute position, même celle de Dessalines),[1] s’était rallié au parti du général Christophe en lequel il reconnaissait un grand avenir. Quand il entendait Dessalines se prononcer contre l’éducation du peuple, il disait à l’écart à ceux qui parlaient d’améliorations morales et intellectuelles : Ne voyez-vous pas que Dessalines est un barbare, un tyran abominable ? Il est loin de penser comme le général Christophe, qui, à sa place, eût apprécié vos observations et vous en aurait su gré.[2] »

Si, dès 1805, alors que Christophe méditait déjà le renversement de l’empereur, Mentor parlait ainsi en sa faveur ; si, dans le conciliabule des Cayes, le premier toast lui fut porté comme le futur ministre de la guerre, il est donc à présumer que cet homme astucieux, lié à Boisrond Tonnerre et à Borno Déléard, non moins corrompus par l’ambition ; gagné déjà par Christophe, aura gagné lui-même ses deux collègues — aides de camp au projet du général en chef, par la perspective d’être encore collègues — ministres dans le nouveau gouvernement. Cette présomption expliquerait ce qui se passa chez Baillio. Il reste néanmoins à savoir si Christophe ne se fût pas défait de tous les trois, comme des hommes dangereux pour son pouvoir. Nous disons ainsi, d’après M. Madiou lui-même :

« Il (Mentor) ne craignit pas de s’efforcer d’inciter Dessalines contre Christophe, Geffrard et Pétion. Christophe ne tarda pas à découvrir qu’il ne convoitait pas moins que lui la première dignité de l’Etat… Il le

  1. Ibid., p. 213.
  2. Ibid., p. 256.