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server la colonie, tout en maintenant l’esclavage.

Aussitôt que ce conflit survint entre les privilégiés, il fut facile de concevoir que la ruine du système colonial était prochaine, du moins dans la colonie où il avait lieu d’une manière désastreuse.

Entre les esclaves et les maîtres européens, ce système lui-même avait créé avec le temps une nombreuse classe intermédiaire, composée d’hommes qui tenaient aux premiers par les liens du sang, et qui, possédant des lumières, avaient prospéré par leur industrie à l’aide de quelques droits civils établis en leur faveur, parce que la grande majorité d’entre eux descendaient aussi de ces maîtres. Par leur origine même, ils auraient pu servir de boulevard contre la désorganisation de la colonie, tout en facilitant l’adoucissement du sort, l’émancipation graduelle des esclaves. Mais, opprimés également dans ce régime barbare, par la seule raison que la nuance de leur épiderme, ou était semblable à celle de ces malheureux, ou s’en rapprochait ; repoussés inhumainement par les colons européens dans leurs justes réclamations, dès les premiers momens de troubles, ces hommes libres avaient dû recourir aux armes.

Cette situation était telle, que ces hommes se virent appelés, par la justice de la France, à l’égalité des droits avec les colons. C’était déjà un grand pas de fait dans la voie de la liberté générale pour toute la race noire ; car les esclaves en étaient aussi dignes que leurs descendans. Reconnaître à ceux-ci leurs droits politiques, c’était préparer aux autres au moins la jouissance de la liberté civile, dérivant de leur liberté naturelle à laquelle la force et le privilège ne pouvaient raisonnablement opposer la prescription du temps.