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C’était jouer sa tête, si une réflexion était venue à Dessalines de révoquer son ordre et de reprendre cette lettre. Mais on comprend aussi la cause de la haute estime et des faveurs dont jouit Alexis Dupuy sous le règne de Christophe.

Le général en chef répondit à l’empereur, qu’il était désolé de ne pouvoir se rendre à Marchand, étant malade en ce moment. Dessalines, dont le caractère offrait tous les constrastes, n’y pensa plus ; mais Christophe médita plus que jamais : le conseil de Dupuy l’avait averti qu’il s’agissait de sa vie[1].

On dira peut-être de ce dernier, que c’était une trahison envers l’empereur. Si l’on pensait ainsi, ce serait mal apprécier le devoir moral de tout homme qui sert auprès d’un chef d’Etat, dont la violence peut le porter aux crimes les plus affreux. Son devoir consiste à lui épargner l’occasion d’en commettre, lorsqu’il ne peut hasarder un conseil direct ; car, en facilitant ses instincts, ce serait se rendre criminel envers la société ; il ne serait plus possible de l’arrêter dans cette voie, périlleuse pour lui autant que pour elle.

Comme si la fatalité poussait Dessalines vers sa chute, presque au même temps où Christophe venait d’être averti de se tenir sur ses gardes, où Geffrard venait de se refuser à tramer contre lui, l’empereur donnait à ce dernier de nouveaux motifs de mécontentement et de défiance.

Dans le mois de septembre, le colonel Guillaume La-

  1. Déjà, dans une autre circonstance, le général Vernet avait envoyé un avis semblable à Christophe, mandé à Marchand : il lui avait fait dire de ne pas passer par la Coupe-à-l’Inde pour y venir, — une embuscade y ayant été posée pour le tuer, — mais d’aller aux Gonaïves où se trouvait l’Impératrice, et de la prier de l’accompagner à Marchand : ce qui eut lieu. Madame Dessalines, au cœur si généreux, désarma son mari.