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Une telle conduite, on ne peut le nier, était celle d’un bon citoyen : Geffrard ne pouvait être un délateur comme Moreau, son subordonné. La réconciliation avait été sincère de la part des hommes de l’ancien parti de Rigaud avec celui de Toussaint Louverture : ils en avaient donné trop de preuves dans la fusion qui décida des destinées de Saint-Domingue, pour qu’on doute des bonnes intentions de Geffrard, à cette époque.

À son retour dans le Nord, Blanchet aîné se fît porter au Port-au-Prince pour y voir Pétion. Comme à Geffrard, il lui parla aussi positivement ; mais comme son collègue, Pétion repoussa l’idée du renversement de l’empereur, et par les mêmes motifs, en promettant le même secret par rapport à Christophe[1].

Pétion, auteur de la fusion éminemment nationale qui triompha de la France, qui vengea toute la race noire, dans son ancienne colonie, des injustices commises à son égard, ne pouvait pas vouloir détruire son œuvre patriotique, alors qu’on pouvait encore espérer de Dessalines, qu’il n’irait pas au-delà de ce qu’on avait déjà à lui reprocher. Mieux que qui que ce soit, ce grand citoyen savait être indulgent pour sa nature brute et son caractère emporté. Il voyait avec douleur que ses passions ardentes le rendaient le jouet de quelques hommes de son entourage, les Mentor, les B. Tonnerre, les Juste Chan-

  1. M. Madiou prétend que Pétion accueillit Blanchet avec froideur, et qu’il lui déclara qu’il se défiait du cœur de Christophe, tout en promettant le secret sur ses ouvertures. Quoiqu’il paraisse avoir tenu ces particularités, de Bonnet qui y aurait été présent, nous croyons difficilement que la prudence habituelle de Pétion eût failli ainsi, en présence d’un agent qu’il aurait accuelli avec froideur et dont la passion était visible, par rapport á sa révocation de la charge de trésorier : c’eût été s’exposer à ce que ses paroles fussent transmises à Christophe. Pétion n’était pas susceptible de commettre une telle faute politique : il était naturellement froid.