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senti à une trêve de quinze jours avec Brunet, et à approvisionner les Cayes, Dessalines, qui aimait les opérations vigoureuses à la guerre, en éprouva du mécontentement. Il l’exprima par la lettre suivante, adressée à Gérin, commandant des troupes qui assiégeaient les Cayes, en l’absence de Geffrard :


Quartier-général, à Viet (aux Grands-Bois) le 24 thermidor an XI
(12 août).
Le général en chef,

Au général de brigade Gérin, commandant, pro tempore, la division du Sud.

J’ai reçu, mon cher général, votre lettre du 12 (31 juillet) avec d’autant plus de satisfaction, qu’elle entre parfaitement dans tous les détails que je pouvais désirer. Ci-joint un paquet pour le général Geffrard dont les dernières mesures m’ont singulièrement étonné, puisqu’elles contrarient les instructions que je lui ai laissées à mon départ : vous voudrez bien le lui faire parvenir à Jérémie, après en avoir pris lecture. Lisez mes dernières instructions, et que la sûreté de votre division repose sur elles. Eh quoi ! général, nous n’aurions combattu, nous ne serions vainqueurs que pour donner tête baissée dans le piège qui nous est tendu par Brunet ? Quoi ! à la veille de faire disparaître nos bourreaux de notre malheureux pays, nous nous estimerions heureux de prendre des arrangemens, et de laisser à nos ennemis leurs armes ? Quelle honte ! Non, général, aucune des armées que je commande ne se déshonorera par une telle lâcheté [1]. — Vous fûtes, général, la victime dévouée à tous les poignards ; vous fûtes le premier qui me fit sentir la nécessité de porter dans votre département le fer et la liberté. Et je me réjouis de ce que la prudence du général Geffrard vous ait confié sa division. Vous saurez préserver votre armée du piège qui lui est tendu, et vous n’entendrez à aucune proposition qu’au préalable on naît mis bas les armes. Je vous souhaite des succès, de la fermeté, et la haine éternelle pour les Français.

Je vous salue cordialement,
Dessalines.
  1. Ceci était relatif à la capitulation de Jérémie, Férou ayant consenti à ce que la garnison française s’embarquât avec armes et bagages. Mais, peu après, Dessalines agit de même au Port-au-Prince et au Cap.