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d’eau-de-vie, de viande et de biscuit qui existaient dans la citadelle appelée anciennement Fort-Dauphin, puis Fort-Liberté, et alors désignée sous le nom de Fort-Dampierre, pour avoir reçu les restes mortels de l’un des généraux français de l’expédition, mort en cette ville de la fièvre jaune. Rendu au Cap avec la population indigène qui l’avait suivi (la plupart des mulâtres et des noirs étant restés avec Toussaint Brave), il reçut un bon accueil du général Leclerc ; mais celui-ci lui dit ces paroles qui firent saigner son cœur : « Général, qu’avez-vous fait ? vous arrivez avec une population de couleur quatre fois plus nombreuse que les détachemens européens que vous me ramenez. Vous ne savez donc pas que ce sont des tigres, des serpens que vous apportez dans notre sein[1] ? »

Et ce capitaine-général venait d’offrir aux noirs la garantie de leur liberté, s’ils voulaient unir leurs forces aux siennes ! Des femmes, des enfans devenaient à ses yeux des tigres, des serpens, parce qu’ils avaient la peau jaune ou noire !

Pamphile de Lacroix, qui avait d’autres sentimens à l’égard de cette population et qui venait d’éprouver la loyauté de Toussaint Brave, dut gémir vraiment des étranges paroles prononcées par son chef ! Excusons ce malheureux capitaine-général ; car au 20 octobre, il était sur le point d’être atteint par la fièvre jaune : ses déceptions étaient d’ailleurs si grandes !

À peine P. de Lacroix était-il arrivé au Cap, qu’il dut repartir pour se rendre à Saint-Yague qu’on croyait menacé par Clervaux, d’après un faux avis parvenu à Leclerc.

Toussaint Brave, maître du Fort-Liberté, reconnut

  1. Pamphile de Lacroix, t. 2, p. 248.