Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 5.djvu/242

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pensée intime du gouvernement. Benezech, et H. Christophe qui était membre du conseil, les combattirent et réussirent à faire rejeter toutes autres propositions que celle relative au maintien du fermage des habitations séquestrées, tel qu’il s’observait sous le régime de T. Louverture. Aussitôt l’adoption de cette mesure, Benezech mourut, le 12 juin, de la fièvre jaune.

L’intérim de sa préfecture fut donné à Deraime, sous-préfet du département du Nord, qui hérita de ses fonctions, mais non pas des sentimens philantropiques qui le distinguaient ; et d’ailleurs, comment s’opposer aux vues du gouvernement ? Les colons, Belin de Villeneuve en tête, donnèrent pleine carrière à leur désir de voir rétablir promptement l’ancien régime colonial[1]. Dans une séance du conseil, ils s’écrièrent tous : Point d’esclavage, point de colonies ! Dans leur plan, cependant, les anciens libres devaient jouir, disaient-ils, des mêmes droits politiques que les blancs. C’était un leurre offert aux députés noirs et jaunes du conseil, pour qu’ils aidassent, ainsi que leur classe, au rétablissement de l’esclavage.

H. Christophe eut le courage de repousser ces propositions, en s’écriant à son tour : « Point de liberté, point de colonies ! » Il attaqua ensuite tout le plan des colons, qui, voyant que la poire n’était pas mûre, eurent l’air de le retirer. Il paraît que Christophe eut la franchise de faire des observations à ce sujet à Leclerc, pour le prémunir contre les colons. On doit lui tenir compte de ce dévouement généreux ; car c’était s’exposer à une subite déportation en France.

  1. Belin de Villeneuve était propriétaire d’une grande sucrerie au Limbe : peu avant la révolution, en 1777, il reçut des lettres de noblesse de Louis XVI, pour avoir introduit des améliorations importantes dans la fabrication du sucre.