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la moralité de ses sentimens, le général Cafarelli eût blâmé bien des actes commis par T. Louverture ; mais il l’en eût absous sous le rapport politique, à raison des avantages qu’en retirèrent les colons français et la France elle-même. La politique des intérêts matériels ne fait-elle pas absoudre de bien des faits coupables aux yeux de la morale, même dans l’Europe civilisée ? Le général Cafarelli eût pris en considération, par cette raison, le théâtre où agit T. Louverture, et son rapport eût eu une autre conclusion[1].

Et d’abord, quant à l’expulsion des agens de la France, T. Louverture n’avait-il pas obtenu des bill d’indemnité du Direetoire exécutif et du gouvernement consulaire ? Quand on le maintenait au rang de général en chef de l’armée, quand le Premier Consul lui conféra la qualité de capitaine-général, bien que son arrêté à ce sujet ne lui fût pas expédié, n’était-ce pas approuver tacitement toutes ces violations successives de l’autorité de la métropole ? N’était-ce pas lui dire qu’il pouvait en quelque sorte oser davantage, pourvu qu’il restât soumis à la France ?

Eh bien ! qu’est-ce, au fond, que cette constitution de 1801 dont on se prévalait contre lui ? Un dernier empiétement sur la souveraineté de la France, il est vrai ;

  1. « Leclerc ne voulut pas envoyer en France dans le principe Toussaint, qui y eût occupé un poste éminent ; et à quelque temps de là, il se vit contraint à le faire arrêter et à nous l’envoyer comme prisonnier, ce que la malveillance ne manqua pas de peindre sous les couleurs odieuses de la tyrannie et de la déloyauté, représentant Toussaint comme une innocente victime digne du plus vif intérêt, et pourtant, il était éminemment criminel.  » — Mémorial de Las Cases.

    Or l’empereur Napoléon a reconnu qu’il avait fait une faute ; il s’est reproché l’expédition contre Saint-Domingue : « Je devais me contenter de le gouverner par l’intermédiaire de Toussaint. » Le Premier Consul eût donc absous Toussaint, s’il avait été mieux avisé, si même on l’avait envoyé dans le principe.