Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 5.djvu/201

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Citoyen ministre,

Je fus arrêté avec toute ma famille par l’ordre du capitaine-général, qui m’avait cependant donné sa parole d’honneur, et qui m’avait promis la protection du gouvernement français. J’ose réclamer et sa justice et sa bienveillance. Si j’ai commis des fautes, moi seul en dois sabir les peines.

Je vous prie, citoyen ministre, de vous intéresser auprès du Premier Consul pour ma famille et pour moi.

Salut et respect,

Toussaint Louverture.

Ces deux lettres, d’un style simple, font déjà pressentir le mémoire qu’il adressa ensuite au Premier Consul, pour exposer sa situation et les motifs de sa conduite politique et militaire[1]. Nous aimons à trouver dans ces lettres cette sollicitude du père de famille, qui cherche à intéresser le gouvernement français en faveur de la sienne, irresponsable de tout ce qu’il pouvait lui reprocher à lui-même, — de même que nous avons aimé à trouver dans la lettre de Rigaud au ministre de la marine, à son arrivée à Brest, une sollicitude semblable pour les officiers déportés avec lui. Mais T. Louverture s’adressait à la politique, qu’il avait si mal comprise lui-même, et la politique n’a pas toujours des entrailles paternelles. Le Premier Consul était destiné à le savoir aussi un jour.

La quarantaine du Héros continua ; et à sa fin, le premier d’entre ses passagers, nous voulons dire ses prisonniers, qui eut à souffrir des rigueurs du gouvernement français, fut ce Placide au noble cœur, qui crut devoir à son père adoptif le sacrifice de tout l’attachement qu’il avait pour la France, à qui il devait son éducation. Dès le 23 juillet, trois jours après les lettres de T. Louverture, le

  1. Les deux lettres ont été écrites par Placide, sous la dictée de T. Louverture.