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nombre de grenadiers, qui m’environnèrent, s’emparèrent de moi, me garottèrent comme un criminel, et me conduisirent abord de la frégate la Créole. Je réclamai la parole du général Brunet et les promesses qu’il m’avait faites, mais inutilement ; je ne le revis plus. Il s’était probablement caché pour se soustraire aux reproches bien mérités que je pouvais lui faire. »

Oui, Brunet se cacha, parce qu’il venait d’être l’instrument d’une action perfide ; mais il ne put se soustraire au plaisant et flétrissant sobriquet de gendarme, que lui appliquèrent les soldats français de l’expédition, et qu’il mérita bien mieux encore par les mesures de rigueur qu’il exerça sur les noirs du Nord, par l’arrestation injuste du brave Maurepas. Toujours malin et spirituel, le Français plaisante de tout ; en cette occasion, ces braves soldats firent plus qu’une plaisanterie : ils prononcèrent un jugement basé sur les principes de la justice, ils vengèrent T. Louverture.

Nous ajoutons ici ce que ne contient pas son récit.

Pendant son séjour à Beaumont, T. Louverture allait quelquefois dans le bourg d’Ennery : toujours les soldats des postes lui rendaient les honneurs dus à un officier général. Lorsqu’il y passa pour aller auprès de Brunet, ces honneurs ne lui furent pas rendus : Pesquidon l’avait empêché, car il était dans le secret de ce qu’on préparait à l’exgouverneur. C’était presque un avertissement pour ce dernier, il n’y prit pas garde[1]. — Arrivé à la Coupe-à-Pintade,

  1. Nous avons entendu raconter qu’en passant à Ennery, T. Louverture rencontra un vieux noir, ancien militaire, qu’il connaissait. Cet homme ne lui ayant pas marqué le respect auquel il était habitué, il le menaça de le faire arrêter ; mais le vieux noir lui répondit en créole : Rété ! Rété ! nous toutes pas rété dijà ! (M’arrêter ! ne sommes-nous pas tous arrêtés déjà ?) C’était un avertissement qu’il voulait donner à son ancien chef, qui ne le comprit pas.