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Comme on l’a vu dans le chapitre précédent, l’adjudant-général Perrin avait transmis à Dessalines les ordres du général en chef. Le 23 mai, Dessalines et Charles Bélair, suivis de Lamartinière et de Gabart, et des débris des 3e, 4e, 7e et 8e demi-brigades, se rendirent à Saint-Marc. L’entrée de Dessalines dans cette ville, qu’il avait incendiée, fut une sorte de triomphe : indigènes et Français l’accueillirent ; les généraux qui s’y trouvaient le fêtèrent, le complimentèrent sur la défense de la Crête-à-Pierrot, car les braves militaires savent apprécier leurs semblables. Mais ils lui témoignèrent aussi l’espoir qu’ils avaient, qu’il aiderait le général Leclerc à rétablir l’ordre dans les campagnes : il promit, dit Boisrond Tonnerre, tout en conservant l’inquiétude de la pintade[1]. La soumission de T. Louverture, dont le rôle était fini, lui donnait de l’avenir. Cette réception, cet espoir qu’on mettait en lui, durent donner naissance dès-lors à son ambition de remplacer l’ancien gouverneur dans l’opinion des masses ; et cette opinion l’avait devancé.

Lamartinière dut retourner au Port-au-Prince où il fut rétabli dans le commandement de la 3e coloniale : il fut accueilli par les généraux Boudet et Pamphile de Lacroix.

Le général en chef ne tarda pas à ordonner un amalgame des troupes coloniales avec les troupes françaises. Chacun de ces premiers corps fut placé dans l’un des autres : c’était pour leur ôter tout moyen d’ensemble, toute possibilité de résistance ; mais ces soldats et leurs officiers considéraient toujours leurs anciens numéros d’ordre

  1. La pintade est un oiseau originaire d’Afrique, vif, inquiet, turbulent, et qui ne reste jamais en place. Dessalines avait bien de ce tempérament : après avoir massacré tant de blancs, il devait, effectivement, être sur le qui-vive avec les Français.