Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 4.djvu/99

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

semble qu’il réservait cette victime pour un autre temps !

À ce sujet, nous citons ici les lignes suivantes où M. Madiou rend témoignage des bons sentimens de Moïse.

« Moïse, dit-il, ne déployait pas son ardeur ordinaire : « il gémissait de cette guerre entre frères, dont les blancs seuls devaient profiter, osait-il dire, en rétablissant l’esclavage. Il eût voulu que Toussaint eût abandonné à Rigaud le commandement en chef du département du Sud jusqu’à Léogane inclusivement, en attendant de nouvelles instructions du Directoire exécutif de France. Le général Moïse, de vues bornées, ne pouvait comprendre que Toussaint ne s’efforçait d’écraser Rigaud, qu’afin de renverser le principal obstacle à l’indépendance de Saint-Domingue… Paul Louverture colonel de la 10e, et frère de Toussaint, partageait les opinions de Moïse [1]. »

Avait-il donc tort de gémir de cette guerre fratricide, avait-il des vues bornées, ce jeune homme qui pressentit l’expédition formidable arrivée dans la colonie deux mois après sa triste fin ? Dans quel but venaient cette armée et cette flotte nombreuses ? Moïse n’avait-il pas raison de penser que le sang de la race noire n’allait être versé que pour rétablir les colons dans leurs privilèges ? Y eut-il autre chose après la défaite de Rigaud, et Moïse n’a-t-il pas péri pour avoir manifesté ses répugnances contre cet odieux résultat ? Peut-on croire, peut-on dire que T. Louverture eût fait, par la suite, plus qu’il ne fit en 1801, en donnant une constitution spéciale à Saint-Domingue, en prenant ou recevant des colons le titre de gouverneur général ? Ce n’est qu’en raisonnant sur cette supposition

  1. Histoire d’Haïti, t. 1er p. 342 et 343.