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de leur couleur pour qu’ils fussent immolés[1]. Qu’on nous prouve alors que des noirs ne sont pas tombés également victimes de leurs lumières et de leurs sentimens de sympathie en faveur de la cause que soutenait Rigaud. Qu’on nous prouve encore que T. Louverture n’avait aucune confiance dans les mulâtres qui servaient dans son armée[2].

Nous aurions lieu de nous étonner que deux de nos devanciers, MM. Madiou et Saint-Rémy, aient considéré la guerre civile du Sud comme guerre de caste, de couleurs, [3] s’il n’était pas du partage des hommes de différer souvent d’opinion, sur bien des questions.

Si, dans l’ancien régime, les mulâtres et nègres libres formaient une classe intermédiaire, une caste, si l’on veut, entre les blancs privilégiés et les esclaves de toutes couleurs, ayant par conséquent un intérêt politique diffèrent de celui des esclaves ; depuis le 29 août 1793, en

  1. Cela prouve seulement qu’il y avait parmi eux plus d’hommes éclairés, que T. Louverture crut devoir sacrifier, pour pouvoir établir son régime de 1800 et 1801 : régime entièrement favorable aux colons, ses amis en 1799 — ses ennemis en 1802.
  2. Le 2 août 1799, Roume lui avait écrit une lettre où il lui disait que c’était sans doute son discours prononcé à l’église du Port-au-Prince, qui faisait dire à Rigaud qu’il voulait l’extermination de toute la classe des mulâtres. Mais, trois jours après, T. Louverture lui répondit que c’était à tort que Rigaud portait une telle accusation contre lui ; qu’il n’en voulait pas à toute cette classe ; qu’il ne faisait pas une guerre de couleur ; et il cita en preuve, non-seulement Clervaux et les autres hommes de couleur employés dans son armée active, mais encore Vernet, Laraque, Desruisseaux, Rouanez, etc., tous commandans de communes en qui il avait la plus grande confiance.

    Si ces explications appuient nos propres opinions sur les causes diverses de cette guerre déplorable, elles prouvent aussi qu’en homme éclairé, T. Louverture sentait le besoin de se justifier d’une accusation qui aurait pu peser sur sa mémoire ; et nous aimons à citer ici sa propre lettre à ce sujet ; car, si nous l’accusons d’excès indignes de ses lumières, nous nous devons à nous-même de présenter ses propres excuses.

  3. Histoire d’Haïti, t. 1er p. 335. Vie de T. Louverture, p. 231.