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les cultivateurs noirs étaient opprimés, vexés par eux ; les hommes de couleur les plus éclairés étaient écartés des fonctions publiques, — et l’harmonie existait entre toutes les classes de la société ! Et Moïse, qui gémissait de cet état de choses ; qui pensait que ses frères ne devaient pas être contraints au travail par la verge et le bâton ; qui eût désiré l’aliénation du domaine public disponible en faveur du pauvre officier privé de tout, en faveur du soldat encore plus pauvre ; qui entrevoyait le bonheur des masses dans la petite propriété ; qui désirait l’union étroite du noir et du mulâtre ; qui voyait sacrifier leurs intérêts à ceux des colons : Moïse n’avait qu’une intelligence sans culture ! Faut-il donc savoir faire des phrases, écrire correctement sa langue, pour être apte à découvrir ce qu’il faut à une société[1] ? L’intelligence de Moïse ne se dévoile-t-elle pas dans toutes ses vues si en harmonie avec les vrais intérêts des hommes de sa race, lui qu’on accuse d’avoir rompu l’harmonie prétendue existante alors ? Quand il jugeait que l’union du blanc et du noir était une monstruosité politique, que l’aristocratie à fonder entre ces hommes était une contradiction palpable, qu’elle aurait pour but, avec son accessoire royal, de rétablir l’esclavage des cultivateurs noirs, étaient-ce autant d’erreurs de sa part ?…

  1. Plus tard, nous produirons une espèce de fac-simile de l’écriture de T. Louverture, et l’on verra qu’il ne savait pas le français, pas même orthographier mais son intelligence, son génie, sont évidens.