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mingue, s’indignaient du dévouement aveugle à sa personne, des cultivateurs du Nord et de l’Artibonite, malgré les mauvais traitemens qu’ils éprouvaient, à peu près comme dans l’ancien régime. Ils disaient aux anciens laboureurs de leurs habitations, pour les exciter à la révolte : — Vous dites que vous êtes libres, etc[1]. »

Il est évident que cette ordonnance ayant été rendue au Port-au-Prince, deux jours après le règlement de culture qui autorisait à tenir ces propos aux cultivateurs, on ne peut les attribuer aux Français républicains qui étaient hors de là : l’ordonnance en fait le reproche à des mal-intentionnés de toutes couleurs, — et particulièrement aux habitans, aux anciens propriétaires. Or, que signifiaient ces mots, sinon les colons ? Quand T. Louverture parlait des hommes de toutes couleurs, c’était pour couvrir ces colons qui, seuls, pouvaient tenir ce langage aux noirs cultivateurs, que le règlement contraignait à rentrer sur leurs habitations. Est-ce que les mulâtres et noirs anciens libres, propriétaires il est vrai, auraient pu se permettre un tel langage, après les cruautés exercées récemment encore contre eux ? Les colons, propriétaires, pouvaient-ils désirer la révolte des noirs ?

D’ailleurs, les dispositions de ce règlement si sévère, renferment-elles quoique ce soit qui indique une tendance, une marche à grands pas vers l’indépendance de Saint-Domingue ? Elles contiennent, au contraire, la preuve que T. Louverture faisait tout en ce moment-là pour complaire au gouvernement français, lui donner des gages de sa soumission à sa politique, qui avait pour but de réagir

  1. Histoire d’Haïti t. 2, p. 74.