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Rigaud ne bouleversa pas la colonie de Saint-Domingue de fond en comble. Il ne faut pas, pour trouver une excuse aux crimes commis par T. Louverture, accabler ce pauvre vaincu de la politique astucieuse du Directoire exécutif et de ses agens. Mais, enfin, s’il laissa de profonds regrets, même une aveugle admiration, c’est que le sentiment public ne lui trouvait pas tous les torts dont on l’accuse.

Il y a dans le jugement populaire quelque chose qu’un historien doit respecter, sous peine de passer soi-même pour avoir un jugement erroné.


À l’égard de T. Louverture, si favorisé par toutes les circonstances de son époque, depuis sa soumission à Laveaux jusqu’à la fuite de Rigaud ; si favorisé par la politique des gouvernemens de France et de leurs agens dans la colonie : s’il ne suffisait à un homme que de montrer une haute capacité, pour mériter notre admiration, nous la lui accorderions volontiers ; et cela, par un sentiment de juste orgueil pour cette race africaine à laquelle nous appartenons. Mais il nous faut d’autres titres pour l’accorder à un homme, quel qu’il soit ; car, nous ne séparons pas les qualités morales de celles qui ne tiennent qu’à ce qu’on appelle vulgairement la politique.

En effet, T. Louverture s’est montré, selon sa nature, supérieur à tous les hommes de son temps. D’une ambition dévorante (nous ne l’en blâmons pas), et se sentant toutes les facultés pour la soutenir, pour acquérir la plus haute position à Saint-Domingue, il s’est joué avec le plus grand art, de Laveaux, de Sonthonax, d’Hédouville, de Roume ; il a profité des fautes et de l’incapacité de Villatte ; il est parvenu à annuler Bauvais, à vaincre Rigaud, pour rester seul dominateur sur le terrain colonial. Mais, par