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Pour éviter un résultat aussi funeste, les habitans pressèrent ces autorités d’aller au-devant de cet attroupement. Aussitôt leur arrivée, un des chefs brandit son sabre sur la tête de Roume, et tous l’accablèrent d’injures, de menaces. Ils lui dirent qu’il fallait qu’il rendît compte de tout l’argent qu’il avait indûment dépensé, qu’il donnât aux cultivateurs la moitié des terres des colons, et la faculté de travailler à leur profit et non à celui des anciens propriétaires, et enfin qu’il rendît un arrêté pour autoriser la prise de possession de la partie espagnole. C’était l’objet principal et même unique du rassemblement ; le reste n’était que des accessoires, pour produire plus d’impression sur l’esprit de Roume et des membres de la municipalité.

Roume ayant montré de la fermeté et se refusant à accorder aucun des points de cette singulière demande, les noirs dirent alors qu’on en référerait au général en chef, vers qui ils députèrent pour l’appeler sur les lieux : en attendant son arrivée, ils enfermèrent Roume et ses compagnons dans un poulailler rempli d’immondices. T. Louverture pouvait y venir en moins d’une journée ; mais il laissa ces hommes passer neuf jours et neuf nuits dans cette prison d’un genre tout nouveau.

En arrivant, il affecta d’être excessivement étonné et affligé d’une telle détention. Lui qui savait imposer sa volonté à la multitude, il eut l’air de dire aux noirs assemblés de déclarer ce qu’ils voulaient pour avoir agi ainsi. On conçoit bien que leur réponse principale fut en faveur de la prise de possession de la partie espagnole. Roume ne pouvant être dupe de cette infernale comédie, adressa à T. Louverture les paroles les plus énergiques : « Non ! « dit-il, je ne signerai point l’arrêt de mort de ces pai-