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sant sa femme, couvrant ses enfans de baisers tendres, il les fît placer dans la chaloupe avec ceux que le sort avait favorisés : cette chaloupe s’éloigna. Le cœur plein d’indicibles émotions, mais résigné à son malheur, Bauvais la suivit des yeux, tandis que le navire se remplissait d’eau : au moment où il allait sombrer, Sauvais agita son mouchoir en signe d’un dernier adieu à sa femme, et disparut sous les flots.

Quelle triste fin pour le vertueux Bauvais ! Quel spectacle douloureux pour son épouse !…

Quel beau sujet pour un tableau d’histoire, lorsqu’Haïti aura un peintre capable de sentir ce qu’il y a eu d’héroïque, de sublime, dans le dévouement, dans l’abnégation de Bauvais à ce moment suprême !

Discordes civiles ! voilà l’un de vos résultats !… Mais, honneur à la mémoire de Bauvais ! Car une telle fin répare tout : elle inscrit son nom sur l’autel de la patrie ; elle le grave dans tous les cœurs qui se sentent émus au récit d’actions généreuses[1]

Après avoir été ballottée par les flots durant trois jours et trois nuits, la chaloupe rencontra un navire anglais qui la recueillit ; et les infortunés naufragés furent secourus et amenés à Bristol, d’où Madame Bauvais et ses filles passèrent en France. Cette dame, accablée de peines, sur-

  1. Bauvais naquit à la Croix-des-Bouquets. Pétion qui agit autrement que lui dans la guerre civile du Sud, mais qui avait le sentiment du beau et du juste, inscrivit son nom en lettres d’or dans le salon de son château de Volant Le Tort, à côté de ceux de Lambert, Rigaud, Toussaint Louverture, Ogé, Chavanne, Pinchinat et Villatte. Il joignit à ces noms nationaux, ceux de Ferrand de Baudières, Raynal, H. Grégoire et Wilberforce, quatre vrais philantropes parmi les blancs. Aussi juste appréciateur du mérite militaire, il décora ce salon, comme un ornement à tous ces noms chers à la postérité haïtienne, par les portraits de quatre grands capitaines de l’antiquité : Alexandre, César, Thémistocle et Annibal.