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vers Rigaud ; mais ce fut Rigaud lui-même qui ne voulut pas profiter de la victoire.

« Mais Rigaud, dit M. Saint-Rémy, se contenta d’avoir porté les limites de son commandement au Grand-Goave ; car, à quoi lui eût servi Léogane, qu’avec un bateau sur la mer et cent hommes par terre on peut facilement affamer ? Aucune idée de conquête n’entrait dans les vues de Rigaud : ce qu’il voulait, c’était garantir l’intégrité de son commandement, et conserver le Sud à la métropole. Plusieurs de ses lieutenans lui ont reproché cette conduite ; mais il avait bien plus raison qu’eux[1] »

Non, il n’avait pas raison ; car la lettre d’Hédouville sur laquelle il s’étayait, l’autorisait à occuper Léogane ; et au départ de cet agent, il avait demandé cette place à Laplume. Il pouvait la défendre comme lorsqu’elle fut attaquée par mer et par terre, par les Anglais. Ce n’est pas le Sud seul qu’il devait conserver à la métropole ; c’était toute la colonie, puisqu’il croyait T. Louverture disposé à proclamer son indépendance, d’accord avec les Anglais et les Américains. Une guerre de conquête devenait donc, dans cette pensée, une nécessité de la situation : il fallait conquérir, s’il était possible, devenir vainqueur, pour se justifier devant le Directoire exécutif qui avait approuvé la conduite du général en chef envers Hédouville, d’après ses lettres publiées le 2 juillet par Roume. Roume ayant déclaré Rigaud rebelle, ce général devenait coupable aux yeux du Directoire exécutif, dès le jour de la prise du Petit-Goave.

Pour se justifier, il fallait pouvoir lui dire :

« Votre agent n’a été qu’un pusillanime, un traître ou

  1. Vie de Toussaint Louverture, p. 246.