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chement que les hommes de couleur. Cette lettre à T. Louverture, du 23 juillet, prouve encore à quel point Sonthonax sentait son autorité déchue devant celle dont il avait revêtu le général en chef ; elle est au fond celle d’un inférieur à son supérieur, et vingt autres lettres que nous pourrions citer encore le prouveraient[1]. Citons-en une.

Deux jours après celle dont il s’agit, le 25 juillet, Sonthonax écrit de nouveau à T. Louverture, au sujet de Macaya (l’interlocuteur de Polvérel en 1793) et deux autres brigands, dit-il, de la Grande-Rivière, qu’il venait de faire arrêter par le général Moïse, comme prévenus de complot pour soulever ce canton. Il dit à T. Louverture qu’il voulait proposer à la commission, (c’est-à-dire à lui-même qui faisait tout, à J. Raymond qui signait tout, à Pascal qui enregistrait tout) de nommer une commission militaire pour les juger, mais qu’il est indécis :

« Je pense, continue-t-il, qu’il est urgent de nommer cette commission, qui ne pourrait prononcer contre les accusés convaincus une peine moindre que la réclusion jusqu’à la paix[2]. Cependant, avant de me déterminer, j’attendrai votre réponse sur cette mesure. Je désirerais même qu’il vous fût possible de venir conférer avec moi. Outre le plaisir de vous voir et de vous embrasser, mille raisons plus importantes les unes que les autres me font

  1. « Ce n’étaient pas seulement des égards que lui témoignait le gouvernement (l’agence), c’étaient des respects qu’il lui rendait (à T. Louverture). Chacun des agens négociait secrètement avec lui et croyait s’assurer de la suprématie en se l’attachant. Mais, constamment renfermé en lui-même, il se refusait à toutes les avances… Il ne conférait en particulier qu’avec le seul Sonthonax auquel il ne cessa de paraître attaché, jusqu’au moment où il le renversa. » (Rapport de Kerverseau au ministre de la marine.)
  2. Que devenait donc la constitution proclamée, si les tribunaux civils ou même militaires devaient recevoir les injonctions de l’agence, dans le jugement des accusés ? Quel affreux despotisme ! Et c’est un avocat distingue qui pensait, qui agissait ainsi ! Dicter des arrêts à la conscience des juges !