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sentiment intime de l’homme, pour déterminer toujours le choix, la préférence du mulâtre ?

La race blanche représente à ses yeux le père dont il est issu ; mais son cœur sent que la race noire représente la mère qui l’a procréé. En quelque lieu où l’une persisterait dans ses injustices, il devra, s’il n’est pas un être dépravé, se déclarer en faveur de l’autre qui est l’objet de ces injustices.

Oh ! sans doute, la Providence, en donnant naissance à la classe des mulâtres, lui a donné en même temps une belle et noble mission à remplir. Son existence même lui dévoile cette mission. Ces hommes doivent toujours s’efforcer de désarmer, pour ainsi dire, l’une et l’autre race, de leur prouver, par le sentiment autant que par la raison, qu’elles sont les enfans d’un même père, d’un même Dieu. Mais, nous le répétons, si la lutte ne pouvait cesser entre elles, ces hommes ne doivent jamais hésiter à entreprendre la cause de celle qui est sans contredit la plus faible, parce qu’elle a moins de lumières, qu’elle est moins avancée en civilisation.

Dans la circonstance que nous retraçons, il est incontestable que le rôle des hommes de couleur était de se placer à la tête des noirs pour combattre les colons, pour repousser également les Anglais et les Espagnols, moins encore parce que c’était la cause de la France, dont les uns et les autres avaient eu tant à se plaindre, que parce que c’était la cause de la liberté générale, et que celle-ci était la leur. Cette liberté générale, vaincue, ils devaient infailliblement retomber dans leur ancienne condition ; car l’esclavage des noirs entraîne nécessairement, fatalement, les préjugés de la couleur. Ce résultat est dans la logique du fait de l’esclavage. Le blanc se croit en quelque sorte