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regrette d’y trouver, à côté de l’expression la plus pure des droits de l’homme, des preuves d’un vif ressentiment que le magistrat doit toujours écarter, quels que soient les souvenirs de l’individu. »

Garran se trompait, peut-être, quand il pensa que Sonthonax éprouva de l’embarras. Ce commissaire n’en éprouvait jamais ; peu lui importait ses déclarations antérieures ; pour lui, le succès est tout, la fin justifie les moyens, car le plus souvent il agit par expédient. Ainsi, voyez comme il déclare que leur mission à Saint-Domingue était, non seulement d’y faire exécuter la loi du 4 avril, relativement aux hommes de couleur, mais d’y préparer graduellement l’affranchissement général des esclaves. Nous avons cité à dessein les instructions que les trois commissaires civils reçurent du roi ; on n’y trouve pas un mot qui fasse préjuger que la liberté des esclaves sera proclamée ni même préparée ; et ce n’est ni Louis XVI, ni son ministre Lacoste, partisan des colons et rédacteur de ces instructions, qui y auraient inséré ce mot. L’assemblée législative elle-même n’était nullement disposée à cet affranchissement, bien que Brissot et les Girondins fussent partisans d’une liberté graduelle[1].

  1. « Oui, nous avons été envoyés à Saint-Domingue pour préparer graduellement et sans secousse l’affranchissement général des esclaves ; car la loi du 4 avril n’est qu’une préparation à l’affranchissement général des esclaves. Lorsque l’assemblée nationale a proclamé l’égalité pour les nègres libres et les hommes de couleur libres, elle n’a pas entendu que les autres fussent éternellement esclaves ; elle n’a pas entendu que les parens des hommes libres fussent éternellement esclaves. Les colons nous disent que nous avions des instructions secrètes : nous déclarons que nous n’avions aucune instruction secrète… » (Paroles de Sonthonax aux Débats, t. 4, p. 18 et 19.)

    Sonthonax était un excellent avocat. En insistant sur nos opinions à son sujet, nous mettons du moins le lecteur à même de tout apprécier et de juger par lui-même.