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En sortant du palais, le sénateur inculpé si gravement se rendit chez le général Inginac, probablement pour trouver quelque consolation, quelque appui auprès de lui ; mais là, où d’autres personnes s’étaient portées également, Pierre André se vit interpelé, apostrophé par le secrétaire général qui lui demanda avec vivacité, « s’il pouvait déclarer, en conscience, qu’il n’avait aucune connaissance des choses qui avaient motivé les soupçons du Président ? » Dans sa pénible situation, Pierre André ne put opposer que des larmes versées abondamment ; et ce qui résulte souvent de la conviction dé l’innocence qui se sent outragée injustement, fut interprété comme un indice, sinon une preuve de la culpabilité reconnue intimement.

Dans ces circonstances, il fallait un bouc émissaire : le Sénat, corps politique autant que législatif, se réserva de le trouver et de le charger de tous les péchés d’Israël pour le chasser dans le désert. À sa séance du lundi 4 juin, un de ses membres osa proposer à ses collègues d’expulser de leur sein celui qui avait, disait-il, compromis l’honneur du corps ; il fut appuyé dans sa motion si insolite. Pierre André, présent, protesta de son innocence et essaya de se justifier par les sentimens de gratitude qu’il devait au président Boyer, par sa position de chef d’une nombreuse famille : ses collègues le contraignirent à sortir de cette séance à huis-clos. La délibération continuant sur la proposition d’expulsion, pure et simple, un sénateur demanda l’exhibition des pièces qui motivaient l’accusation et qu’il n’avait pas vues ; un autre proposa d’en référer préalablement au Président d’Haïti ; enfin, un troisième, s’appuyant judicieusement sur la constitution, demanda l’observation des articles relatifs à la mise en accusation d’un sénateur, afin de procéder régulièrement comme le voulait le pacte