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telle manière d’agir peut être attribuée à cette regrettable vanité dont les esprits supérieurs ne sont pas toujours exempts. En outre, exerçant un pouvoir déjà très-étendu par la constitution qui donnait l’initiative des lois au Président d’Haïti, et s’étant réservé encore les hautes fonctions ministérielles par la loi de 1819, les grands fonctionnaires eux-mêmes, ses conseillers de droit, ne pouvaient pas influer sur ses résolutions. S’il en fut ainsi, on conçoit que l’Opposition parlementaire pouvait encore moins obtenir ce qu’elle réclamait, par l’éclat même qu’elle donnait à ses idées. Boyer eût cru perdre tout le prestige de son autorité s’il lui cédait ; et de ce qu’il n’estimait pas les hommes qui se trouvaient à la tête de cette Opposition, il se croyait d’autant plus autorisé à dédaigner la réclamation des améliorations qu’ils formulaient dans un langage propre à leur concilier l’opinion publique. Il est si difficile d’abandonner une route qui a conduit au succès !

Ce fut une grande faute de sa part ; car il aurait dû s’apercevoir, que les temps avaient changé, que les idées en matière de gouvernement et d’administration avaient fait des progrès réels, par l’instruction qui était plus répan due dans la société, par les relations qu’entretenait la République avec les nations civilisées dont les livres et les journaux étaient aux mains de tous les gens éclairés. Ces derniers se passionnaient naturellement en les lisant, en reconnaissant combien Haïti marchait lentement par rapport à ces nations ; et sans tenir compte des difficultés de sa situation particulière, des progrès qu’elle avait néanmoins accomplis, ils en désiraient de plus grands. Boyer aurait dû, enfin, se pénétrer des observations suivantes, tracées par la main d’un habile politique[1] :

  1. Machiavel, Discours sur la premiere Décade de Tite-Live, 3e partie.