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naissance envers la mémoire du Père de la patrie. Mais je me suis gardé de faire toucher cette pension par la mère de cette enfant, que je considérais comme ma pupille. Mon amitié pour Pétion, ma gratitude envers lui, m’imposaient la douce obligation de prendre soin de sa fille, d’en faire la mienne, et de l’élever comme telle. J’ai gouverné le pays depuis vingt-cinq ans, et mes ennemis eux-mêmes seraient étonnés de savoir le peu que je possède réellement en numéraire[1]. »

M. Pilié était aussi étonné que moi, d’apprendre que la pension de Célie n’avait jamais été payée. Je dis au Président, qu’il n’était pas juste de sa part, d’avoir privé la mère de cette enfant de la somme annuelle qu’elle aurait dû recevoir ; que la nation avait sanctionné de tout son cœur la loi fendue à cet effet, et qu’il était encore temps de l’exécuter. Le secrétaire d’État appuya mon opinion, et nous décidâmes Boyer à signer un ordre en conséquence. Je l’écrivis, en portant la somme totale à environ 29 mille gourdes, pour les sept années et plus que Célie avait vécu après Pétion : cette somme fut payée, comme de droit, en monnaie d’Espagne, parce que la monnaie nationale, à cette époque, était au pair de celle-là.

Enfin, le moment du départ arriva. Le 13 mars, vers 6 heures du soir, le sénateur Madiou accompagna Madame Joute Lachenais derrière l’arsenal, où se trouvaient les embarcations de la corvette anglaise[2]. Le président Boyer monta à cheval, entouré d’une forte escorte d’officiers et

  1. Il n’avait pas même 25 mille piastres ; et que d’indignes imputations sous ce rapport !
  2. La rue du Champ-de-Mars où elle passa, fut appelée ensuite Rue du 13 Mars, par le conseil communal institué quelques mois après. Cette dénomination n’a pas plus subsisté que celle de Rue de Praslin, donnée à la rue du Port, parce que le général R. Hérard occupa l’ancien logement de Boyer qui y est situé.