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n’est pas toujours facile de surmonter s’étaient opposées à ses propres intentions ; qu’il espérait que les Haïtiens se ressouviendraient toujours qu’ils avaient été Français, et que, quoique indépendans de la France, ils devaient se rappeler qu’elle a été leur métropole, afin d’entretenir avec elle des relations de bonne amitié et d’un commerce réciproquement avantageux.[1] » Louis-Philippe ajouta : qu’il répondrait à la lettre de Boyer ; et en congédiant les envoyés, il leur dit qu’il les présenterait incessamment à la Reine et à la famille royale, à Neuilly[2],

  1. Après ces paroles, le Roi adressa aux envoyés une foule de questions sur la situation d’Haïti, sur ses productions, sa population, son armée, sur la partie de l’Est principalement ; il désira savoir s’il y avait beaucoup de blancs jouissant de la qualité d’Haïtien, s’il existait encore au Môle Saint-Nicolas beaucoup des anciens Allemands amenés là dans le siècle dernier, si ce quartier était fertile, si l’air y était sain pour les Européens. enfin, quel était le nombre de blancs admis comme citoyens dans toute la République. Toutes ces questions, assez naturelles de la part du Roi des Français, parurent aux envoyés empreintes de préoccupations politiques, sinon pour le présent, du moins pour l’avenir. Il lui fut répondu sur toutes, aussi bien que possible ; et quant à la partie de l’Est : que tous les blancs qui y étaient propriétaires en 1822 et qui prêtèrent serment de fidélité à la République, furent reconnus Haïtiens ; qu’il n’y avait plus d’Allemands dans l’arrondissement du Môle ; que ce territoire était excessivement aride, que l’air y était malsain, ce qui était prouvé par les nombreuses mortalités survenues parmi les Allemands. Enfin, sur la.dernière question : « Le gouvernement ne faisant aucune distinction entre les indigènes et les blancs qui jouissent des mêmes droits qu’eux, n’a jamais eu l’idée de constater le nombre de ces derniers. » Cette réponse, quoique vraie, parut trop diplomatique a Louis-Philippe ; il sourit, et congédia les envoyés.
  2. En effet, ils eurent l’honneur d’être invités à diner à Neuilly, le 4 juillet suivant. Présentés par le Roi à toute sa famille si distinguée, ils recurent les preuves de la plus grande considération pour Haïti qu’ils représentaient ; le sénateur Ardouin fut même admis à se placer à table entre la Reine et la princesse Clémentine qu’il y avait accompagnée. Le comte Molé, M. de Las Cases et l’amiral Baudin y étaient aussi. Les envoyés d’Haïti remarquèrent néanmoins que le Moniteur ne mentionna point cette réception si flatteuse pour eux et leur pays, et que le Journal des Débats dit seulement le lendemain : « Hier, M. le comte Molé, ministre des affaires étrangères et président du conseil, M. le contre-amiral Baudin et M. le baron de Las Cases ont eu l’honneur de diner avec le roi. »

    Il est impossible que ce journal ministériel n’ait pas été informé de la présence des envoyés d’Haïti à Neuilly ; il y avait donc intention compréhensible dans l’omission de leurs noms. Au reste, si je parle de cette particularité, ce n’est que comme fait historique ; car, mon collègue et moi, nous n’avons eu qu’à nous féliciter des attentions et des égards dont nous fûmes l’objet, dans cette mission, de la part des ministres et d’une foule de personnages éminens auxquels nous avons été présentés. Nous eûmes l’honneur de dîner également avec quatre des ministres : le comte Molé, l’amiral de Rosamel, M. Barthe