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lutions, a été marquée par la spoliation des propriétés, etc. »

Le ministre terminait par dire que, si le gouvernement haïtien voulait faire de nouvelles propositions, on lui accordait un délai de cinq mois à cet effet[1].

Quel que fût le ton général de cette note verbale, le passage que nous venons de citer n’était pas moins un hommage rendu au droit que les Haïtiens avaient eu de résister à la France, pour conserver leur liberté par l’indépendance de leur pays ; et dans l’état des choses, il faut l’avouer, le gouvernement français, prévenu contre le caractère de Boyer, et ne s’expliquant pas assez peut-être le but qu’il voulait atteindre, ne pouvait guère tenir un autre langage.

Pour être juste envers son adversaire, même son ennemi, il faut comprendre sa situation réelle comme on comprend sa propre situation.

Malgré les principes libéraux qui prévalaient en France

  1. M. Frédéric Martin, dont j’ai parlé dans une note de la page 30, étant employé aux archives du ministère de la marine, apprit qu’il était question d’envoyer une expédition contre Haïti, après le retour en France de MM. Molien et Pichon fils. Il rédigea un mémoire qu’il présenta à l’amiral de Rigny, ministre de la marine, dans le but d’éclairer le gouvernement français sur la situation que l’ordonnance du 17 avril 1825 avait faite à Haïti, sur la bonne foi de Boyer qui avait compromis sa popularité pour servir son pays. Il y disait qu’il fallait, ou réduire l’indemnité à 100 millions comme on en était convenu en 1824, ou abaisser les droits sur les cafés d’Haïti, afin de faciliter ses payemens et de contenter les Haïtiens ; il appuya son opinion par des chiffres pour prouver les pertes faites sur la vente des cafés en France. M. Frédéric examina les conséquences des deux hypothèses, ou d’une expédition de troupes pour envahir Haïti, ou d’un blocus de ses ports, et osa dire que le gouvernement français ne réussirait pas ; que les petites propriétés de 5 carreaux de terre délivrées aux Haïtiens les attachaient désormais au sol de leur pays qu’ils defendraient à outrance ; que le temps était passé où l’on pouvait espérer de semer la division entre eux, etc. Le 21 septembre, l’amiral de Rigny lui écrivit une lettre dans laquelle il le complimenta sur son mémoire, en lui disant qu’il l’avait soumis à M. Casimir Perier, président du conseil des ministres.

    M. Frederic m’a fait lire, à Paris, cette lettre et son mémoire, et je puis dire qu’un Haïtien n’aurait pas mieux plaidé la cause de la République que ce loyal Français, qui s’y était fait estimer par sa conduite durant un séjour de dix années. Ce serait donc après cette démarche, que le ministère aura résolu d’ecrire la note verbale au gouvernement haïtien ; et en même temps, le ministère de la marine expédia à Haïti le brig de guerre le Cuirassier, commandé par M. de Bruix, pour s’assurer si les Français jouissaient réellement de sa protection.