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du Sud. De leur côté, les esclaves, convaincus que la très-grande majorité des affranchis avait été contraire à la déportation des suisses, n’hésitèrent point à s’unir à eux contre les blancs, parce qu’entre ces deux classes il n’y avait pas à balancer : leur préférence pour les nègres et mulâtres libres était dictée autant par la raison, que par le sentiment qui les rapprochait naturellement des hommes qui sortaient de leurs rangs. L’abbé Maury avait fort bien prévu cette union des opprimés contre les oppresseurs. C’est ainsi que, dans le même temps, on voyait dans les rangs des noirs insurgés du Nord, tous les nègres et mulâtres libres des paroisses de l’intérieur concourir avec eux à cette révolution.

Remarquons, en terminant ce long examen de l’affaire des suisses, que ce n’est pas la première fois que les Européens en agirent ainsi.

En effet, les fastes de l’histoire de Saint-Domingue nous apprennent qu’en 1533, les blancs espagnols employèrent les mêmes manœuvres auprès des Indiens campés dans la montagne de Bahoruco, sous les ordres du cacique Henri. On se rappelle que nous avons dit que des nègres esclaves s’étaient réfugiés auprès des aborigènes qui eux-mêmes avaient fui la tyrannie de leurs oppresseurs. Ceux-ci, forcés de traiter avec les Indiens, exigèrent qu’ils livrassent ces infortunés pour être replacés dans l’esclavage, et les Indiens y consentirent. L’égoïsme politique persuada ces insulaires ! On trouve malheureusement ce triste sentiment dans le cœur de tous les hommes, éclairés ou ignorans : l’histoire générale des nations offre plus d’un exemple de ce genre. Ne vit-on pas ensuite, à une époque rapprochée de la révolution de Saint-Domingue, en 1784, les nègres