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MALUS.

victimes cessaient-elles de remuer qu’ils les transportaient sur l’autre rive, où ils les abandonnaient aux chiens et aux oiseaux de proie. Quelquefois, ils les recouvraient d’un peu de sable, mais le vent avait bientôt mis les cadavres à nu, et cette voirie présentait le spectacle hideux d’un champ de bataille.

Une malheureuse femme que je soignai, parce qu’elle était absolument abandonnée, me priait, la veille de sa mort, de donner une piastre aux fossoyeurs afin qu’elle ne devînt pas la proie des chacals ; j’ai exécuté ses désirs et l’ai fait enterrer dans un santon, au bout de la plaine des morts.

Il y avait déjà un mois que j’étais dans cet abominable séjour lorsque Cazola obtint pour moi que je fusse mis en quarantaine dans un logement séparé. Ma solitude me parut délicieuse, parce que je quittais pour elle la société des mourants. J’achevai de m’y rétablir, et dans les premiers jours de messidor je reçus définitivement une liberté qui suivit le sacrifice de tous mes effets. »

Combien ne devons-nous pas nous féliciter que Malus ait échappé d’une manière si inespérée au terrible fléau qui moissonnait tant de victimes ! S’il eût succombé, la belle branche de l’optique dont il planta le premier jalon après son retour en France ne fût peut-être pas née, et les admirables progrès de cette science ne compteraient pas parmi les plus beaux titres dont le xixe siècle pourra se glorifier devant la postérité.

Quelque temps après, Malus reçut l’ordre de se rendre à Cathiéh où il s’établit ; les délices de ce poste avancé que commandait le général Leclerc sont retracés con