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pour sa famille la chaussure des paysans du Gâtinais. Voici la vérité : à l’époque en question, les modes ne se répandaient pas de la capitale à la province avec la rapidité de la pensée. Le premier élève de la promotion de 1798 se présenta à ses camarades coiffé d’un énorme chapeau à cornes très-mal retapé, dont notre confrère prétendait, dans un premier mouvement, qu’on ne trouverait plus aujourd’hui de modèle. « Je me trompe, disait Poisson en se reprenant, je vois tous les jours, non sans émotion, car les souvenirs de jeunesse me remuent profondément, mon chapeau phénoménal sur la tête de ces marchands ambulants qui parcourent à pas comptés les rues étroites de nos faubourgs, et font retentir l’air du nom des légumes à bon marché dont leur brouette est chargée. »

L’École polytechnique était alors exclusivement gouvernée par le conseil des professeurs ; ceux-ci ne tardèrent pas à s’apercevoir que le chef de la promotion de 1798 maniait le tire-ligne avec une grande maladresse ; ils le dispensèrent donc de tout travail graphique, présumant bien qu’il n’entrerait pas dans un service public, et que sa véritable carrière serait celle des sciences. Cette décision intelligente, qui, pour le dire en passant, n’a pas été imitée depuis que l’École est gouvernée en partie par de grosses épaulettes, permit à Poisson de se livrer sans distraction à ses recherches favorites. Poisson eut à Fontainebleau d’éclatants succès dans ses études littéraires aussi bien qu’en mathématiques. Il avait une véritable passion pour le théâtre ; ce délassement était dispendieux ; il se le procurait cependant, en se privant de dîner, le quintidi