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il n’existe pas un seul brin d’herbe pour reposer la vue, Monge fut entouré par une multitude de soldats, jadis laboureurs peut-être, qui lui demandèrent si le pays avait toujours été aussi aride, et s’il ne s’y opérerait pas des changements dans le cours des siècles. Monge leur raconta aussitôt tout ce que les membres de l’Institut d’Égypte avaient observé sur la manière dont les sables se déplacent, sur la vitesse moyenne de leur propagation, etc., etc. Il était arrivé au terme de sa démonstration, lorsque le général en chef survint et s’écria : « Monge, que dites-vous donc à ces braves gens, pour qu’ils vous écoutent avec tant d’attention ? — Je leur expliquais, général, que notre globe éprouvera bien des révolutions avant que des voitures se réunissent ici en aussi grand nombre qu’à la porte de l’Opéra, à Paris, les jours de première représentation. »

Une immense explosion de gaieté, dont le général prit sa bonne part, prouva que Monge, dans l’occasion, savait sortir avec esprit de sa gravité habituelle.

Je ne quitterai pas ce sujet sans appeler encore votre attention sur une circonstance dans laquelle Monge reconnut, avec une vive sensibilité, combien, malgré quelques apparences contraires, l’armée avait su l’apprécier.

C’était aussi dans le désert. Un soldat mourant de soif jette sur la petite gourde que notre confrère porte suspendue à son ceinturon un regard où se peint à la fois le désir, la douleur, le désespoir. Monge a tout remarqué, et n’hésite pas une seconde. «Viens, crie-t-il au soldat, viens boire un coup. » Le malheureux accourt et n’avale qu’une gorgée. « Bois donc davantage, lui dit affectueuse-