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gnie et société de la Boëtie que pendant quatre années. L’intimité de Monge et de Berthollet dura plus d’un tiers de siècle. Les deux philosophes du Périgord jugèrent que l’amitié « descoust toutes autres obligations ; » ils la cachèrent dans la plus profonde retraite ; ils détournèrent les yeux des malheurs du temps et vécurent pour eux seuls. Monge et Berthollet, au contraire, prirent tous deux une part active aux événements de notre grande révolution. Les convulsions violentes qui, trop souvent, hélas ! jetèrent dans des camps ennemis le mari et la femme, le père et le fils, le frère et la sœur, ne créèrent pas même l’ombre d’un dissentiment passager entre le géomètre et le chimiste.

Oh ! combien j’aurais été heureux de mettre sous vos yeux des lettres, aujourd’hui perdues sans retour, écrites sur les bords du Nil, dans lesquelles Monge dépeignait, en termes pleins d’émotion, une amitié si digne d’être offerte en modèle et qui fit le charme de sa vie ! Ces lettres eussent prouvé aux esprits les plus prévenus que la culture des sciences fortifie l’intelligence sans détremper les ressorts de l’âme, sans émousser la sensibilité, sans attiédir aucune des bonnes qualités dont la nature a déposé le germe dans le cœur humain. Après avoir lu les tendres effusions de notre confrère, personne n’aurait plus trouvé qu’une immense hérésie dans ces paroles de Jean-Jacques : « On cesse de sentir quand on commence à raisonner. »