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Les amis de Lyon avaient trouvé la psychologie d’Ampère un peu sèche et minutieuse. Ils l’engageaient à revenir aux sciences exactes. Notre confrère leur répondait sur un ton lyrique : « Comment quitter un pays plein de fleurs et d’eaux vives ; comment quitter des ruisseaux, des bocages, pour les déserts brûlés par les rayons de ce soleil mathématique, qui, répandant sur les objets la plus vive lumière, les flétrit, les dessèche jusqu’à la racine !… Comme il vaut mieux errer sous des ombrages mobiles, que de marcher le long d’une route droite où l’œil embrasse tout, ou rien ne semble fuir pour nous exciter à le poursuivre ! »

Il était de mon devoir de chercher les frais bocages qu’Ampère avait aperçus, et d’essayer de vous y faire pénétrer ; mais hélas ! habitué par vos conseils, par vos exemples, à priser surtout, en matière de sciences, les routes droites et complétement éclairées, mes yeux éblouis ne trouveraient qu’une obscurité profonde, là où notre ingénieux ami, aux regards perçants, avait le privilége de voir de fraîches demi-teintes. Privé du guide, du fil d’Ariane que j’ai vainement cherché dans les manuscrits d’Ampère, je craindrais, je l’avoue, d’être conduit, comme jadis Voltaire, à placer à la fin de chaque proposition de métaphysique, les deux mêmes lettres (N L), que traçaient les poinçons des magistrats romains, quand les causes leur paraissaient encore trop obscures pour donner lieu à des jugements motivés. Des non liquet (des ce n’est pas clair) trop souvent répétés, malgré leur sincérité entière, auraient eu, peut-être, un air de fausse modestie que je devais éviter à tout prix.