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18 brumaire. Le 21, les crieurs publics annonçaient partout, même dans la rue de la Sourdière, que le général Bonaparte était consul, et M. de Laplace ministre de l’intérieur. Ce nom, si connu de la respectable veuve, s’éleva jusqu’à la chambre qu’elle habitait et y produisit quelque émotion. Le soir même, le nouveau ministre (c’était débuter noblement, Messieurs) demandait une pension de deux mille francs pour madame Bailly. Le consul accordait la demande, en y ajoutant cette condition expresse, qu’un premier semestre serait payé d’avance et sur-le-champ. Le 22, de bonne heure, une voiture s’arrête dans la rue de la Sourdière ; madame de Laplace en descend, portant à la main une bourse remplie d’or. Elle s’élance dans l’escalier, pénètre en courant dans l’humble demeure, depuis plusieurs années témoin d’une douleur sans remède et d’une cruelle misère ; madame Bailly était à la fenêtre : « Ma chère amie, que faites-vous là de si grand matin ? s’écrie la femme du ministre. — Madame, repartit la veuve, j’entendis hier les crieurs publics, et je vous attendais ! »

Si, après s’être appesanti par devoir sur des actes anarchiques, odieux, sanguinaires, l’historien de nos discordes civiles a le bonheur de rencontrer dans sa marche une scène qui satisfasse l’esprit, qui élève l’âme et remplisse le cœur de douces émotions, il s’y arrête, Messieurs, comme le voyageur africain dans une oasis !