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prévision, je ne dis pas assez, dans l’espérance d’un retour nocturne, madame Vernet ne songea même pas qu’il y eût dans une immense capitale des voleurs et des assassins.

Bien grande, hélas ! fut la différence de conduite des deux familles que les relations du monde et le malheur rapprochèrent de Condorcet !

Le 5 avril, à deux heures, nous laissions Condorcet s’éloignant avec résignation, mais non sans tristesse, de la maison de campagne où il avait espéré passer vingt quatre heures en sûreté. Personne ne saura jamais les angoisses, les souffrances qu’il endura pendant la journée du 6. Le 7, un peu tard, nous voyons notre confrère, blessé à la jambe et poussé par la faim, entrer dans un cabaret de Clamart et demander une omelette. Malheureusement, cet homme presque universel ne sait pas, même à peu près, combien un ouvrier mange d’œufs dans un de ses repas. À la question du cabaretier, il répond une douzaine. Ce nombre inusité excite la surprise ; bientôt le soupçon se fait jour, se communique, grandit. Le nouveau venu est sommé d’exhiber ses papiers ; il n’en a pas. Pressé de questions, il se dit charpentier ; l’état de ses mains le dément. L’autorité municipale avertie le fait arrêter et le dirige sur Bourg-la-Reine. Dans la route un brave vigneron rencontre le prisonnier ; il voit sa jambe malade, sa marche pénible, et lui prête généreusement son cheval. Je ne devais pas oublier la dernière marque de sympathie qu’ait reçue notre malheureux confrère.

Le 8 avril (1794) au matin, quand le geôlier de Bourg-la-Reine ouvrit la porte de son cachot pour remettre aux