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reconnaissance, que M. Sarret lui disait avec cette fermeté qui n’admet point de réplique : « Le costume que vous portez ne vous déguise pas suffisamment ; vous connaissez à peine votre chemin ; seul, vous ne réussiriez jamais à tromper l’active surveillance des argus que la Commune entretient à toutes les portes de Paris. Je suis donc décidé à ne vous point quitter. »

C’était à dix heures du matin, en plein soleil, dans une rue très-fréquentée, à la porte même de ces terribles prisons du Luxembourg et des Carmes, d’où l’on ne sortait guère que pour aller à l’échafaud ; c’était devant de lugubres affiches portant, en gros caractères, que la peine de mort serait infligée à quiconque prêterait assistance à des proscrits, que M. Sarret s’attachait aux pas du proscrit. Ne trouvez-vous pas qu’une pareille intrépidité va de pair, tout au moins, avec celle qui précipite des soldats sur l’artillerie tonnante d’une redoute ?

Le petit nombre d’heures qui doit nous conduire à un dénomment funeste, éveillera peut-être de bien pénibles sentiments ; aussi, tout en respectant les droits imprescriptibles de l’histoire, serai-je bref.

Les deux fugitifs échappèrent par une sorte de miracle aux dangers qui les attendaient à la barrière du Maine, et se dirigèrent vers Fontenay-aux-Roses. Le voyage fut long : après neuf mois d’un repos absolu, notre confrère ne savait plus marcher. Enfin, sur les trois heures de l’après-midi, Condorcet et son compagnon arrivèrent sans fâcheuse rencontre, mais exténués de fatigue, à la porte d’une maison de campagne occupée par un heureux ménage, qui, depuis près de vingt années, avait reçu de