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çait. Alors, il n’abordait plus les réalités de front ; on dirait qu’il cherchait à voiler à ses propres yeux les horreurs de la situation par des artifices de style.

« Si ina fille était destinée à tout perdre ! » Voilà ce que l’époux insérera de plus explicite dans son dernier écrit. Cependant, comme si cet effort l’avait épuisé, il songe aussitôt à l’appui que son enfant de cinq ans, que sa chère Éliza, pourra trouver auprès de sa bienfaitrice ; il prévoit, il règle tout ; aucun détail ne lui semble indifférent. Éliza appellera madame Vernet sa seconde mère ; elle apprendra, sous la direction de cette excellente amie, outre les ouvrages de femme, le dessin, la peinture, la gravure, et cela assez complétement pour gagner sa vie sans trop de peine et de dégoût. En cas de nécessité, Éliza trouverait de l’appui en Angleterre chez milord Stanhope et chez milord Dear ; en Amérique, chez Bâche, petit-fils de Franklin, et chez Jefferson. Elle devra donc se familiariser avec la langue anglaise ; c’était d’ailleurs le vœu de sa mère, et cela dit tout. Quand le temps sera venu, madame Vernet fera lire à mademoiselle Condorcet les instructions de ses parents, sur le manuscrit (cette circonstance est particulièrement indiquée), sur le manuscrit original. On éloignera d’Éliza tout sentiment de vengeance ; on lui apprendra à se défier de sa sensibilité filiale ; c’est au nom de son père que ce sacrifice sera réclamé.

Le testament se termine par ces lignes : « Je ne dis rien de mes sentiments pour la généreuse amie (madame Vernet) à qui cet écrit est destiné ; en interrogeant son cœur, en se mettant à ma place, elle les connaîtra tous. »