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Dès que l’état fébrile d’auteur eut cessé, notre confrère reporta de nouveau toutes ses pensées sur le danger que sa présence, rue Servandoni, faisait courir à madame Vernet. Il résolut donc, j’emploie ici ses propres expressions, il résolut de quitter le réduit que le dévouement sans bornes de son ange tutélaire avait transformé en paradis.

Condorcet s’abusait si peu sur la conséquence probable du projet qu’il avait conçu ; les chances de salut, après son évasion, lui paraissaient tellement faibles, qu’avant de se dérober aux bienfaits de madame Vernet, il rédigea ses dernières dispositions.

Cet écrit, je l’ai tenu dans mes mains, et j’y ai trouvé partout les vifs reflets d’un esprit élevé, d’un cœur sensible et d’une belle âme. J’oserai dire, en vérité, qu’il n’existe dans aucune langue rien de mieux pensé, de plus attendrissant, de plus suave dans la forme, que les passages du testament de notre confrère intitulés : Avis d’un proscrit à sa fille. Je regrette que le temps ne me permette pas d’en citer quelques fragments.

Ces lignes si limpides, si pleines de finesse et de naturel, furent écrites par Condorcet le jour même où il allait volontairement s’exposer à un immense danger. Le pressentiment d’une fin violente, presque inévitable, ne le troublait pas ; sa main traçait ces terribles expressions : Ma mort, ma mort prochaine ! avec une fermeté que les stoïciens de l’antiquité eussent enviée. La sensibilité dominait, au contraire, la force d’âme, quand l’illustre proscrit croyait entrevoir que madame de Condorcet pourrait aussi être entraînée dans la sanglante catastrophe qui le mena-