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obole. Lui, personnellement, n’avait aucun besoin, car madame Vernet pourvoyait à tout ; car, pour cette femme incomparable, secourir un malheureux était si bien s’acquitter d’une dette, que la famille de l’illustre secrétaire, revenue à une grande aisance, échoua dans ses projets persévérants, et sans cesse renouvelés, de lui faire accepter quelque cadeau.

Mais, se disait, dans sa préoccupation, le célèbre académicien, où vivra celle qui a le malheur aujourd’hui de porter mon nom ? Toute femme noble, et, à plus forte raison, toute femme de proscrit, est exclue de la capitale. Laissez faire l’épouse dévouée, elle entrera chaque matin à Paris, à la suite des pour voyeuses des halles. « Comment vivra-t-elle ? » se demandait encore notre confrère, dans son inquiète sollicitude. Il semble, en effet, impossible qu’une dame du grand monde, habituée à être servie et non à servir les autres, conquière à force de travail, des ressources suffisantes pour elle, sa jeune fille, sa sœur maladive et une vieille gouvernante. Ce qui paraissait impossible ne tardera pas à se réaliser. Le besoin de se procurer l’image des traits de ses parents, de ses amis, n’est jamais plus vif qu’en temps de révolution. Madame de Condorcet passera ses journées à faire des portraits : tantôt dans les prisons (c’étaient les plus pressés) ; tantôt dans les silencieuses retraites que des âmes charitables procuraient à des condamnés ; tantôt, enfin, dans les salons brillants ou dans les modestes habitations des citoyens de toutes les classes qui se croyaient menacés d’un danger prochain. L’habileté de madame Condorcet rendra beaucoup moins vexa-