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partie de nos annales que par quelques phrases barbares, dont plusieurs vont se répétant de génération en génération, sans être pour cela moins contraires à la vérité. La pruderie, qui, en pareilles circonstances, détournerait l’historien d’attribuer à chaque personnage sa part réelle de responsabilité, serait, suivant moi, inexcusable. Je vous dirai donc fidèlement, et sans réticence, ce que fut Condorcet dans le célèbre procès.

Le roi pouvait-il être jugé ? Son inviolabilité n’était-elle pas absolue, aux termes de la Constitution ? La liberté serait-elle possible dans un pays où la loi positive cesserait d’être la règle des jugements ? Ne violerait-on pas un axiome éternel, fondé sur l’humanité et sur la raison, en poursuivant des actes qu’aucune loi antérieure à leur perpétration n’aurait qualifiés de délit ou de crime ? Ne serait-il pas aussi d’une stricte justice que le mode de jugement eût été réglé avant l’époque du crime ou du délit ? Devait-on espérer qu’un souverain déchu trouverait des juges impartiaux parmi ceux qu’il appelait naguère ses sujets ? Si Louis XVI n’avait pas compté sur une inviolabilité absolue, pouvait-on assurer qu’il aurait accepté la couronne ?

Voilà la série de questions, assurément bien naturelles, que Condorcet porta à la tribune de la Convention, et qu’il soumit à une discussion sévère avant le commencement du procès de Louis XVI. Ne devais-je pas les énumérer, ne fût-ce que pour montrer à quel point se trompent ceux à qui l’histoire de notre révolution étant seulement connue par une sorte de tradition orale, se représentent tous les conventionnels comme des tigres altérés de sang, ne pre-