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pas eux-mêmes excité à voir la question sous ce jour-là ? Écoutez, Messieurs, et jugez :

D’Alembert reçoit indirectement de Berlin la nouvelle que Lagrange vient de donner son nom à une de ses jeunes parentes. Il est quelque peu étonné qu’un ami, avec lequel il entretient une correspondance suivie, ne lui en ait rien dit. Cela même ne le détourne pas d’en parler avec moquerie : « J’apprends, lui écrit-il le 21 septembre 1767, j’apprends que vous avez fait ce qu’entre nous philosophes, nous appelons le saut périlleux… Un grand mathématicien doit, avant toutes choses, savoir calculer son bonheur. Je ne doute donc pas qu’après avoir fait ce calcul, vous n’ayez trouvé pour solution le mariage. »

Lagrange répond de cette étrange manière : « Je ne sais si j’ai bien ou mal calculé, ou, plutôt, je crois n’avoir pas calculé du tout ; car j’aurais peut-être fait comme Leibnitz qui, à force de réfléchir, ne put jamais se déterminer. Je vous avouerai que je n’ai jamais eu du goût pour le mariage,… mais les circonstances m’ont décidé… À engager une de mes parentes… À venir prendre soin de moi et de tout ce qui me regarde. Si je ne vous en ai pas fait part, c’est qu’il m’a paru que la chose était si indifférente d’elle-même, qu’elle ne valait pas la peine de vous en entretenir. »

Le mariage de Condorcet m’aurait paru, aussi, une chose parfaitement indifférente et ne point mériter de mention dans cette biographie, si, comme le voulait d’Alembert, il avait été le résultat d’un calcul ; j’ai dû, au contraire, faire remarquer que, sans calcul d’aucune sorte, en obéissant aux inspirations d’un cœur sensible,