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patriarche de Ferney. Jamais il n’a été trouvé plus gai dans sa critique et plus malignement bonhomme. »

C’est en ces termes qu’une correspondance devenue depuis publique et célèbre, annonçait, en 1774, l’apparition de l’opuscule anonyme de Condorcet.

Voltaire, à qui le secret n’avait pas été divulgué, écrivait à notre confrère, le 20 août 1774 : « Il y a dans la Lettre d’un théologien des plaisanteries et des morceaux d’éloquence dignes de Pascal. » Le patriarche prouvait ensuite sans peine que, malgré le bruit public, l’abbé de Voisenon ne pouvait être l’auteur d’une pièce si remarquable. Quant à lui, Voltaire, il espérait échapper au soupçon, car la lettre supposait des connaissances mathématiques profondes, et, ajoutait-il : « Depuis les injustices que j’essuyai sur les éléments de Newton, j’ai renoncé, il y a quarante ans, à ce genre d’études. »

Les hardiesses de la Lettre d’un théologien causèrent à Voltaire de très-vives inquiétudes. Il s’en expliquait avec tout le monde. Je ne veux pas, disait-il, à quatre-vingt trois ans mourir ailleurs que dans mon lit. En écrivant à M. d’Argental (17 août 1774), il caractérisait ainsi l’auteur de l’opuscule : « On ne peut être, ni plus éloquent, ni plus maladroit. Cet ouvrage, aussi dangereux qu’admirable, armera sans doute les ennemis de la philosophie… Je ne veux ni de la gloire d’avoir fait la Lettre d’un théologien, ni du châtiment qui la suivra… Je suis fâché qu’on ait gâté une si bonne cause, en la défendant avec tant d’esprit. » Ailleurs, Voltaire s’écriait : « Fallait-il donc se permettre de publier un ouvrage aussi audacieux, quand on ne commandait pas à deux cent mille soldats ! »