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moral et intellectuel. Si, entraîné jusqu’au paradoxe par une très-légitime douleur, Condorcet a voulu insinuer que les découvertes scientifiques n’ont jamais une influence directe et immédiate sur les événements du monde politique, je combattrai aussi cette thèse, sans même avoir besoin d’évoquer les noms retentissants de boussole, de poudre à canon, de machine à vapeur. Je prendrai un fait entre mille, pour montrer l’immense rôle qu’ont souvent joué les plus modestes inventions.

C’était dans l’année 1746. Le prétendant avait débarqué en Écosse, et la France lui envoyait de puissants secours. Le convoi français et l’escadre anglaise se croisent pendant une nuit très-obscure. Les vigies les plus exercées sont muettes ; elles ne voient, ne signalent absolument rien ; mais en quittant Londres, l’amiral Knowles, malheureusement pour la France et pour son allié, s’était muni d’une lunette de construction récente et fort simple, connue depuis sous le nom de lunette de nuit ; d’une lunette dans laquelle l’artiste avait complétement sacrifié le grossissement à la clarté. Ce nouvel instrument lui dessine vers l’horizon les silhouettes de nombreux navires ; il les poursuit, les atteint, les enlève : l’humble lunette de nuit vient de décider à jamais de la destinée des Stuarts.

Je ne sais, mais n’aurons-nous pas donné une explication assez naturelle de la tristesse qu’éprouvait Condorcet en revenant aux mathématiques, si nous remarquons que les géomètres les plus illustres eux-mêmes se montraient alors découragés. Ils se croyaient arrivés aux dernières limites de ces sciences. Jugez-en par ce passage que je