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me viennent voir me font honneur ; ceux qui ne viennent pas me font plaisir. » La pensée, également égoïste sous l’une et sous l’autre forme, n’effleura jamais l’esprit ou le cœur d’Ampère. Son cabinet de travail s’ouvrait à toute heure et à tout venant. Vous n’en sortiez pas, nous devons l’avouer, sans que notre confrère vous demandât si vous connaissiez le jeu des échecs ? La réponse était-elle affirmative, il s’emparait du visiteur et joutait contre lui, bon gré, mal gré, des heures entières. Ampère avait trop de candeur pour s’être aperçu que les inhabiles eux-mêmes, plusieurs m’en ont fait la confidence, connaissaient un moyen infaillible de le vaincre : quand les chances commençaient à leur être défavorables, ils déclaraient, en termes très-positifs, qu’après de mûres réflexions, le chlore était définitivement pour eux de l’acide muriatique oxygéné ; que l’idée d’expliquer les propriétés de l’aimant à l’aide de courants électriques, semblait une vraie chimère ; que, tôt ou tard, les physiciens reviendraient au système de l’émission, et laisseraient les ondes lumineuses parmi les vieilleries décrépites du cartésianisme. Ampère avait ainsi le double chagrin de trouver de prétendus adversaires de ses théories favorites, et d’être échec et mat !

Les philosophes, ceux-là même dont la vie entière se passe à rédiger des codes de sagesse à l’usage de toutes les nations du monde, souvent ne parviennent pas à éviter, dans leur propre conduite, des écueils qui se montrent aux yeux les plus vulgaires. Ampère, par exemple, ne comprit jamais combien sa santé, combien les sciences, souffriraient de l’isolement auquel il s’était condamné.