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le peintre et la pie.

beau jour, sa queue ayant poussé, Margot s’enleva de terre et prit l’essor. M. Senez la crut partie. Non ! perchée sur le mur, les pattes dans la mousse élastique et fraîche, avant d’aller plus loin, elle regarda. D’un côté, le clos, l’oasis avec l’aimable société des merles ; de l’autre, le coteau natal, mais loin, si loin, visible à peine par delà un Sahara de toitures et de cheminées, région infertile, peuplée d’huissiers, de gardiens des scellés, de commissaires-priseurs, et qu’il serait difficile de traverser sans mésaventure.

La délibération fut longue. Puis, après avoir parcouru en dansant la crête moussue, exploré le toit du hangar, et mis curieusement le bec et l’œil dans la cheminée, Margot sauta, ailes étendues, sur la poutre transversale du puits, et de là sur l’épaule de son maître. Ayant, dans son cerveau d’oiseau, mûrement pesé et comparé les choses, Margot venait de se donner pour toujours. Mystérieux phénomène psychique, bien fait pour provoquer les méditations du philosophe et que M. Senez attendri constata par ces simples mots : « Allons ! la pie est apprivoisée. »

La pie vola quelques bagues dans le quartier et devint bientôt populaire. Affectueux naturellement et fier de posséder un oiseau admiré de chacun, le bon M. Senez ne se sentait plus de joie.

Mais au bout d’un mois, chose étrange ! cette joie parut se nuancer de mélancolie. M. Senez n’était plus le même ; on eût dit qu’il devenait sombre à mesure que la pie embellissait.