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théorie ; mais presque toujours les hommes font le contraire de ce que leur enseigne l’expérience. L’expérience de la vie me disait que si je tenais à conserver de bonnes et amicales relations avec Lydia, il ne fallait en aucun cas trahir le secret de mon amour, que Lydia devait être sûre de mon dévouement absolu, mais que l’amour devait être profondément caché dans mon âme, sans quoi j’étais perdu. Longtemps je réussis à ne pas me trahir, mais c’est fait à présent. C’est arrivé il y a deux jours, après le bal des Kozielsky. Le hasard fit que je me trouvai en tête à tête avec Lydia. Nous causions de ce bal, et Lydia me dit que tout le monde avait été enchanté de la façon dont j’avais dirigé la mazurka.

— Eh ! pas tout le monde, remarquai-je en souriant, votre premier adjudant n’était pas très satisfait de la mazurka.

— Qui, Michel ? Quelle idée ! Nous nous voyons assez souvent.

— Peut-être trop souvent, Lydia.

Je dois avouer que je hais ce Michel de toutes les forces de mon âme ; je hais tout en lui : la voix, les manières, son amabilité pour Lydia, même sa beauté, surtout sa beauté. Il est trop beau et il le sait trop.