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l’imprimé et d’en avoir corrigé les épreuves, nous paraîtront aussi infamante que celle d’avoir rédigé le manuscrit.

« Il y a par ailleurs assez de noblesse dans la vie du champion de la liberté, pour qu’on puisse lui pardonner un péché de jeunesse qu’il aurait commis avant d’être majeur ou guère plus tard. Au contraire, il avait 36 ans au moment où l’imprimé sortit des presses de Great George Streat.

« Mais ses admirateurs sont moins inspirés lorsqu’ils s’efforcent de repousser les deux inculpations. Il faut convenir que leur cause est bonne. On ne peut retenir contre Wilkes que le fait de n’avoir jamais répudié expressément cette paternité, et d’avoir semblé, en trois occasions, reconnaître implicitement que le poème était bien de lui. Mais nous n’en avons aucune preuve positive et il est très possible qu’il ait tout pris sur lui pour éviter un châtiment à quelque ami.

« En tout cas, il ne l’aurait pas écrit seul, car il semble avéré que Thomas Potter y collabora. Autre argument très fort en sa faveur : il est certain qu’un grand nombre de ses contemporains, les mieux informés, n’ont jamais cru à sa culpabilité.

« Enfin, il faut bien se demander comment Wilkes aurait pu avoir l’idée singulière d’interrompre ces polémiques contre le gouvernement, pour perdre son temps à imprimer une indécente et stupide parodie.

« Personne n’a songé à exprimer sa sympathie pour la malheureuse femme dont le honteux passé se trouva brusquement tiré de l’oubli par l’éclat de cette cause célèbre. Il n’est pas douteux, cependant, que Fanny dut être profondément affectée par cet événement. Depuis son mariage, elle avait tâché d’effacer de la mémoire de son mari tout souvenir des jours passés ; elle avait pu croire que le temps aidant, l’image actuelle de l’épouse vertueuse qu’elle était, remplacerait dans les esprits celle de l’ancienne courtisane. La grande ambition était de se montrer digne du nouveau nom qu’elle portait et voici que le spectre de la demi-mondaine oubliée revenait hanter son foyer.

« Personne, en Angleterre, qui ne sût qu’elle était l’héroïne d’un poème obscène et impie. Toutes les éditions apocryphes de l’Essai sur la femme lui étaient dédiées. Toutes les fois qu’elle paraissait en public avec son mari, elle sentait que, comme jadis, tous les