Page:Apollinaire - L’Enfer de la Bibliothèque nationale.djvu/249

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

principales qui servent comme de charpente au roman, à savoir que la vertu, cette ridicule faiblesse des âmes mal trempées, n’a que ce qu’elle mérite si tous les malheurs lui arrivent, que la compassion est un vice digne des pires châtiments, et, qu’au contraire, le crime est l’apanage des âmes vraiment fortes, richement organisées, que l’idée d’un assassinat, d’un inceste, d’un viol, ou son exécution, est le plus sûr moyen d’attirer le bonheur, ces deux thèses sont encore surpassées par une troisième, qui semble décidément avoir été celle de prédilection du marquis de Sade. Nous avons pu la laisser soupçonner, quoiqu’en promenant nos ciseaux à travers les trilles, les arpèges orduriers et autres fioritures qui servent d’accompagnement au poème, nous ayons un peu imité ce directeur de théâtre qui supprimait la musique de la Dame Blanche, pour rendre au dialogue toute sa vivacité : c’est que la cruauté est l’assaisonnement indispensable du plaisir et que le meilleur excitant du voluptueux blasé, ce sont les cris de souffrance de sa victime. Comme enchevêtrement d’aventures impossibles, compliquées de forêts ténébreuses, cavernes de voleurs, souterrains à porte de bronze, caveaux tendus de tapisseries funèbres, cimetières à fleur de sol où l’on enfonce dans une boue de cadavres, ossements en croix, lampes à trois mèches, on a fait beaucoup mieux que Justine, dans le genre noir : l’originalité du marquis de Sade, c’est de faire servir tout ce sinistre appareil à des explosions de lubricité. Partout des tortures et des supplices : femmes flambées à l’esprit-de-vin, écartelées, mordues, rongées par des dogues, étalées sur des chevalets où leurs membres se tordent et se disloquent, sur des croix garnies de pointes de fer ; puis la série continue : poires d’angoisse opérant d’effrayantes dilatations, aspersions d’eau bouillante, flagellations avec des martinets à griffes d’acier, des paquets d’épines, suspensions, strangulations, saignées, décapitations ; un Inquisiteur en resterait pensif ! — Justine, dit l’éditeur d’un excellent recueil (Bibliogr. des ouvr. relatifs à l’amour), Justine est un récit d’atrocités et de folies sanguinaires beaucoup plus qu’érotiques ; la difficulté de comprendre le motif qui avait pu dicter cet ouvrage a fait quelquefois supposer la folie chez son auteur. —

« Mais non, nulle difficulté, au contraire ; le marquis de Sade a vingt fois expliqué son système. Suivez bien le raisonnement : — L’émotion de la volupté, dit-il, ce chatouillement inexprimable